Le projet d'autonomie

 

Cette brochure est le résumé d'un résumé. Sa prétention est d'évoquer la pensée politique de Cornelius Castoriadis, une pensée qui s'est étendue, tournée et retournée dans des milliers de pages de tomes divers et nombreux. Il ne faut donc pas espérer trouver ici un condensé fidèle et concis des méandres de cette réflexion, il faut lire cette brochure en se disant et en se répétant qu'elle n'est pas un résumé (oublions la première phrase ci-dessus) mais davantage une présentation, une introduction aux théories castoriadiennes. Les notes en fin de brochure fourniront une bibliographie complète pour qui veut s'enfoncer dans les écrits made in Casto.

Castoriadis est né en Grèce en 1922 ; il émigre en France à la fin de la guerre à cause de son dangereux engagement politique, s'y fait naturaliser, et y meurt en 1997. Dans sa jeunesse, il passe de la gauche du marxisme à la gauche du trotskysme, puis rompt avec ce dernier et énonce une critique en règle de toute la pensée marxiste, démontrant son ancrage dans l'imaginaire capitaliste. Il fonde la revue Socialisme ou Barbarie, qui marque les années 50 ainsi que de plus ou moins recommandables figures du mouvement social (Guy Debord, Daniel Cohn-Bendit...). La particularité de Castoriadis est peut-être celle d'être un penseur touche-à-tout, philosophe, psychanalyste, économiste à l'OCDE, érudit en Histoire, en musique, en épistémologie, en mathématiques... Sa pensée politique se ressent d'une telle approche globale. Elle nous semble riche car, d'autre part et sous plusieurs aspects, elle nous paraît pouvoir alimenter les réflexions libertaires de manière fine et approfondie, même si Castoriadis lui-même ne s'est jamais revendiqué de ce bord-là.

En l'an 2000 paraît une intéressante « introduction » à sa pensée politique, par Gérard David et aux éditions Michalon, qui s'appelle Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie (son prix prohibitif méritera la plus grande créativité de votre part pour vous le procurer). C'est cet ouvrage que cette brochure ambitionne de résumer. Les citations évoquées sont donc soit de Gérard David, soit de Castoriadis lui-même, soit du premier citant le second dans sa citation. Voilà. Bonne lecture.

Pour toute remarque : Iosk éditions, 10 traverse des 400 Couverts, 38000 Grenoble, iosk@inventati.org

La modernité occidentale

Castoriadis a beaucoup étudié l'Antiquité grecque : c'est dans cette période-là qu'il voit la naissance de la société occidentale. Il le démontre de différentes façons, notamment en comparant l'imaginaire politique de l'époque à celui de la nôtre. Le processus essentiel qu'il voit dans la société grecque, c'est l'avènement de la Raison : pour la première fois dans l'Histoire (ou du moins de ce que nous en connaissons), les humain-e-s discutent et décident de leur vie sur des fondements rationnels, qu'ils peuvent maîtriser totalement, et pas sur des fondements d'ordre divin, magique, transcendant. La Raison qui éclot en Grèce, rappelons-le, s'exprime dans l'apparition de la philosophie, de la science, de la démocratie, de « la mise en question des institutions établies »...

Dans les siècles qui ont suivi, explique Castoriadis, les progrès de la Raison ont suivi deux chemins, ont servi deux projets, qui s'entremêlent tout en s'opposant : le projet d'autonomie d'une part, et le projet capitaliste de l'autre, projet « démentiel, d'une expansion illimitée d'une pseudo-maîtrise pseudo-rationnelle qui depuis longtemps a cessé de concerner seulement les forces productives et l'économie pour devenir un projet global (...), d'une maîtrise totale des données physiques, biologiques, psychiques, sociales, culturelles »1.

Le projet d'autonomie sera décrit plus amplement plus loin. Mais d'ores et déjà on peut dire qu'il consiste à rendre les humain-e-s entièrement maîtres-se-s de leur vie et de leur société, entièrement conscient-e-s et responsables de ce qui leur arrive et de ce qu'illes construisent. C'est un projet marqué par l'usage de la rationalité, mais aussi de l'auto-limitation* : pour que les humain-e-s puissent vivre ensemble sans qu'une autorité supérieure les contraigne et les punisse, illes doivent être capable de se fixer elleux-mêmes des limites. Le projet capitaliste, lui, utilise la rationalité mais sans limites : son but est bien une « expansion illimitée », une croissance sans fin, des profits toujours plus grands, une maîtrise maximale de ce qui existe sur la planète, « l'expansion illimitée des forces productives ; la préoccupation obsédante avec le « développement » ; le « progrès technique » pseudo-rationnel ; la production ; « l'économie » ; la « rationalisation » et le contrôle de toutes les activités ; la division de plus en plus poussée des tâches ; la quantification universelle, le calcul, la « planification » ; l'organisation comme fin en soi, etc. » 2 Or, « l'autonomie (...) en tant qu'auto-limitation, ne saurait exister avec une expansion illimitée de quoi que ce soit, fût-ce d'une prétendue « rationalité ». » 3

L'expansion rationnelle illimitée qui anime le projet capitaliste aboutit logiquement à diverses catastrophes. La techno-science est bien l'expression d'un contrôle exponentiel sur le monde, d'un contrôle qui lui-même ne se contrôle plus et qui n'est donc qu'un contrôle illusoire. L'impérialisme reflète l'extension dans l'espace, violente, écrasante, du projet capitaliste. Le totalitarisme pousse à l'extrême la logique du contrôle absolu sur une planète et ses habitant-e-s. Ces démesures capitalistes sont bel et bien marquées de raison, mais ni l'auto-limitation ni l'autonomie, elles, n'y sont présentes. Ne serait-ce que parce qu'elles sont menées par une partie largement minoritaire de l'espèce humaine, dans ses seuls intérêts.

A l'heure actuelle il semblerait que le projet capitaliste prenne le dessus sur le projet d'autonomie4. Mais notre « modernité occidentale » est complexe et il faut bien comprendre que les deux projets, bien qu'ils soient antinomiques, coexistent encore, voire interagissent, se contaminent l'un l'autre. Le projet d'autonomie s'exprime encore dans les luttes sociales, dans les révoltes et les révolutions récentes. Il faut d'ailleurs bien voir que le libéralisme actuel est « un régime social bâtard, basé sur la coexistence entre le pouvoir des couches dominantes et une contestation sociale et politique presque ininterrompue »5. Enfin, le projet capitaliste ne survivrait pas s'il n'était alimenté par les comportements mêmes qui caractérisent le projet d'autonomie et qu'il s'évertue à détruire : les luttes sociales, le souci du bien commun, les valeurs de responsabilité (chez certain-e-s juges, profs, ouvrier-e-s, etc., qui mettent du coeur à l'ouvrage) 6...

Castoriadis ne préconise évidemment ni de se contenter de la « modernité occidentale », ni de revenir à l'Antiquité grecque. Il propose de dépasser ces deux formes de société et d'oeuvrer pour l'application du projet d'autonomie7.

Le capitalisme

Castoriadis s'est livré à une analyse précise des différentes formes du capitalisme moderne. Il en distingue principalement deux : le capitalisme bureaucratique et le capitalisme occidental. Le premier n'est autre que ce que l'on nomme à tort le « communisme », tel qu'il a été appliqué par exemple en Union Soviétique. Le second est le capitalisme de marché, qui a régné en Europe occidentale et en Amérique ces dernières décennies, et qui aujourd'hui « se mondialise ». Mais Castoriadis insiste : les sociétés à « l'Est » et à « l'Ouest » du Mur étaient « dominées par deux variétés du même régime social »8.

Dans les sociétés « communistes », Castoriadis remarque « l'apparition de la bureaucratie comme couche sociale tendant à supplanter la bourgeoisie » et « l'émergence concomitante de nouvelles formes de propriété, d'économie et d'exploitation »9. La bureaucratie socialiste devient donc la classe dominante. Elle « dispose des moyens de production, gère le procès de production, et décide de la répartition du produit social. » Et son pouvoir est « renforcé par sa maîtrise des moyens de coercition »10. « L'opposition entre possédants et non-possédants tend à être remplacée par la division entre dirigeants et exécutants »9. Par l'analyse de ces sociétés, Castoriadis souligne l'insuffisance des visées révolutionnaires qui se limitent à l'abolition de la propriété privée. L'abattement de la classe économiquement dominante ne sert à rien si elle implique l'avènement d'une classe bureaucratiquement dominante...11

Quant au capitalisme occidental, Castoriadis y observe la prédominance de deux normes : la norme hiérarchique-bureaucratique et la norme de l'argent. Ces normes gouvernent l'imaginaire capitaliste et le peuplent des valeurs de hiérarchie, « d'expertise rationnelle », d'accumulation, de compétition, de « maîtrise » sur la nature et l'humain. Elles se concrétisent par des « motivations adéquates » inculquées aux individus, « les induisant à reproduire continuellement des comportements cohérents entre eux et avec la structure et le fonctionnement du système social. »12. Quand le système social cherche une productivité maximale et une destruction de la responsabilité, il forge des attitudes qui tendent à la privatisation, au conformisme, à la compétition, à l'irresponsabilité, à la passion pour le « divertissement », à une mentalité acquisitive (consommation), à un désinvestissement des affaires communes13. Il forge un individu « défini par l'avidité, la frustration, le conformisme généralisé, (...) la fuite dans la consommation, (...) le fatalisme, (...) perpétuellement distrait, zappant d'une « jouissance » à l'autre, sans mémoire et sans projet, prêt à répondre à toutes les sollicitations d'une machine économique qui de plus en plus détruit la biosphère de la planète pour produire des illusions appelées marchandises »14.

Castoriadis analyse également la capacité du capitalisme à exploiter et intégrer en même temps de larges franges de population. Il parle par exemple de « son besoin de réaliser simultanément la participation et l'exclusion des travailleurs relativement à la production »15. Par ce processus complexe, par le confort, la consommation, les loisirs, la carrière, le système capitaliste, ce « cauchemar climatisé »16 réussit à gagner la servitude volontaire, l'adhésion du peuple, tout en l'exploitant. « L'aliénation croissante des hommes dans le travail [est] compensée par « l'élévation du niveau de vie ». »17 Les carottes qu'on agite devant le peuple sont les « motivations de revenu, et, « dans une structure de plus en plus hiérarchisée et bureaucratisée », de la promotion. Mais dans cette société, le revenu n'a guère « de signification que par la consommation qu'il permet », et celle-ci tend à être de plus en plus intégralement le contexte d'une fabrication des besoins ([par] (...) la bureaucratisation de la consommation, de la publicité et de la vente). Il n'en va pas différemment sur le plan de la politique (...) où la politique est de plus en plus manipulation par la bureaucratie politique »12.

Castoriadis détaille en effet la très nette séparation entre la vie privée des individus et la vie publique de la société. Ces deux vies, ces deux sphères se mêlent peu, les individus ne se préoccupent que de leur routine et laissent leurs représentant-e-s politiques se débrouiller entre elleux pour le gouvernement de la chose publique. « La population s'enfonce dans la privatisation, abandonnant le domaine public aux oligarchies bureaucratiques, manageriales et financières »18. « La chose publique ou plus exactement la chose sociale est vue non seulement comme étrangère ou hostile, mais comme échappant à l'action des hommes »19. Ainsi la chose publique n'est plus vraiment publique, elle est désinvestie par la majorité et reste gouvernée par une minorité. « Les « oligarchies libérales » contemporaines - nos « démocraties » - qui sont des sociétés profondément étatistes , partagent avec les régimes totalitaires ou les monarchies absolues ce trait décisif : la sphère publique/publique est, non pas juridiquement mais en fait , pour sa plus grande partie, privée . Dans les faits, l'essentiel des affaires publiques est toujours affaire privée des divers groupes et classes qui se partagent le pouvoir effectif »20. A l'opposé, une véritable démocratie pourrait « se définir aussi comme « le devenir vraiment public de la sphère publique/publique ». »21

Pourquoi nous éloignons-nous aujourd'hui de cet idéal de démocratie ? « Il y a là autre chose qu'une simple « manipulation » par le système et les individus qui en profitent. Il y a un énorme mouvement - glissement - où tout se tient : les gens se dépolitisent, se privatisent, se tournent vers leur petite sphère « privée », et le système leur en fournit les moyens. Et ce qu'ils y trouvent, dans cette sphère « privée », les détourne encore plus de la responsabilité et de la participation politiques »22. On assiste donc à un phénomène croisé de privatisation des individus et de bureaucratisation de la société : « la consommation pour la consommation dans la vie privée et l'organisation pour l'organisation dans la vie publique »16.

Quand Castoriadis parle de « l'organisation pour l'organisation » dans le capitalisme occidental, il amène des observations analogues à celles du capitalisme bureaucratique. Dans les deux capitalismes, il raconte que la « simple existence [de la bureaucratie] multipliait à l'infini ou engendrait ex-nihilo des problèmes que de nouvelles instances démocratiques étaient créées pour résoudre. Là où Marx avait vu une organisation scientifique et Weber la forme d'autorité « rationnelle », il fallait voir l'antithèse exacte de toute raison, la production en série de l'absurde (...) »23

Castoriadis parle en définitive de la décomposition de notre société, qui « se voit surtout dans la disparition des significations, l'évanescence presque complète des valeurs »24 : « la seule valeur qui survit est la consommation »25. On est bien dans « une société qui se désintéresse de plus en plus de la « politique » - c'est-à-dire de son sort en tant que société »26, on est dans une époque « qui se repaît du conformisme politique et de l'impuissance supposée à modifier l'état des choses »27. Cette décomposition, cette crise est liée à « l'effondrement de l'auto-représentation de la société »28. A une absence de projet, d'horizon, à une « inhibition de [sa] puissance de création »29. « Pas d'avenir véritable, huis clos historique. Contrainte qui paralyse l'imagination et l'activité politiques ; renforcement de l'apathie et du repli sur la sphère privée, qui consolident à leur tour le blocage. Conditions qui rendent à nouveau possibles des issues régressives - comme le repli sur le nationalisme. »30 « Les motifs de cette situation sont multiples, mais il est clair qu'après « le premier désenchantement du monde, résultat du retrait de la religion (...), la société traverse à présent un deuxième désenchantement, constatant que le « progrès » libéral (capitaliste) est vide de sens et que le « progrès » communiste représentait une chute aux enfers ». »31

En effet, Castoriadis explique bien que le marxisme ne constitue plus, et ne doit plus constituer, un espoir face à la tristesse de notre société et de sa décomposition. Car le marxisme, « dépassé et indéfendable à la fois dans sa méthode et dans son contenu »32, « appartient profondément à l'univers occidental-capitaliste »33. Castoriadis souligne d'abord que dans la manière dont le marxisme a été interprété, transmis et mis en application, il a perdu l'un de ses points pourtant très importants : la praxis*. Au fil des ans, le marxisme est devenu « un système théorique fermé et achevé, une théorie extérieure et supérieure à la pratique, réduit dès lors au statut de simple application »34. Et en fin de compte, « le marxisme est devenu une idéologie au sens même que Marx donnait à ce terme : un ensemble d'idées qui se rapporte à une réalité non pour l'éclairer et la transformer, mais pour la voiler et la justifier dans l'imaginaire »35.

Mais Castoriadis attaque le marxisme jusqu'à son contenu, jusqu'à sa théorie économique même, qu'il juge évolutionniste, socio-centriste, « à la fois économiquement fausse et politiquement nuisible »36. Il rappelle que « ses prédictions, telles l'accroissement du taux d'exploitation ou la paupérisation, ne se sont pas réalisées »37. Il signale en outre que Marx suit le modèle des sciences de la nature : il énonce des lois prétendues objectives d'une économie prétendue mécanique. Ce faisant il rejoint les théories capitalistes et déterministes de la rationalité économique, où l'économique est un système prédominant, séparé du reste des relations sociales, et où il constitue la seule motivation de l'agir humain. Le marxisme reste donc ancré dans l'optique capitaliste, ce qui rend d'autant plus facile sa réabsorbtion, sa récupération par les logiques d'oppression capitalistes (bureaucratisation...). Réduit à l'impuissance à la racine, contaminé par la pensée dominante, le marxisme n'en est pas moins dangereux, véhiculant par exemple des significations capitalistes dans le monde ouvrier... « Le marxisme fait partie intégrante du « monde hérité » et à ce titre il constitue un obstacle sur la voie du mouvement révolutionnaire »38.

L'autonomie

« Une interrogation politique cruciale : comment les hommes peuvent-ils devenir capables de résoudre leurs problèmes eux-mêmes (...) »39 ?

Un peu d'étymologie...

Auto = le même, hétéro = l'autre, nomos = la loi,

Donc

Autonomie = exécuter des lois qu'on se donne soi-même (« sachant qu'on le fait » ajouterait Castoriadis),

Hétéronomie = exécuter des lois données par d'autres.

Le principe d'autonomie, pour Castoriadis, désigne la capacité des humain-e-s à être entièrement maîtres-se-s de leur vie, de leur société, des institutions qu'illes se donnent. A l'inverse, dans l'hétéronomie, tout ce que vivent les humain-e-s, dans leur vie quotidienne et sociale, ne dépend pas d'elleux et paraît impossible à changer. La tradition et l'autorité, par exemple, relèvent du domaine de l'hétéronomie : elles entraînent les individu-e-s à agir selon des principes qui leur sont donnés d'en haut, qui ne leur appartiennent pas, qui ont été établis dans le passé, par d'autres gens, par leurs supérieur-e-s. Les individu-e-s exécutent ou reproduisent alors des ordres, des normes, des coutumes, sans les comprendre ou les contrôler. « Les produits de l'homme (objets ou institutions) prennent face à lui une existence sociale indépendante, et au lieu d'être dominés par lui, le dominent »40. La « soumission [de la société] à une « loi de l'autre » est auto-aliénation, occultation à elle-même de sa nature historique et auto-créatrice »41. « La règle des sociétés humaines est celle de l'individu social hétéronome, conforme à l'institution sociale et fonctionnel pour la reproduction de cette même institution »42. Depuis les années 50, nous sommes dans une nouvelle phase de l'histoire occidentale : le retrait dans le conformisme, le retour de l'hétéronomie, c'est-à-dire « le fait de penser et d'agir comme l'institution et le milieu social l'imposent (ouvertement ou de manière souterraine) »43.

Castoriadis utilise souvent le mot institution, au sens strict : l'institution chez lui recouvre n'importe quel outil, système, mécanisme, de la société, les « formes de pensée, modes d'organisation, d'action »44. Dans l'hétéronomie, les institutions sont séparées des populations, maîtrisées par d'autres, elles ont leur logique et elles peuvent être écrasantes. « L'institution, une fois posée, s'autonomise, acquiert une inertie et une logique propres »45. L'autonomie, par contre, est « l'activité d'auto-institution explicite et lucide »46, elle « désigne l'ouverture , la mise en question de soi liée à la capacité de la société et des individus à remettre en cause les lois, l'institution et les significations de la société »47. Dans l'autonomie, les humain-e-s choisissent pleinement les institutions dont illes veulent se doter pour faire fonctionner leur société, illes les contrôlent totalement, et peuvent les changer à tout moment. Une institution, dans une société autonome, pourra être par exemple l'assemblée générale des membres, le roulement des postes spécialisés, etc.

Le noeud de cette question d'autonomie et d'hétéronomie, c'est l'idée que toute société humaine, toute institution, a été créée par les humain-e-s, relève du domaine de l'humain, et peut être changée. Il s'agit pour les humain-e-s de comprendre que leur société leur appartient, qu'elle ne fonctionne que par leur participation plus ou moins forcée, qu'illes peuvent se la réapproprier. Comment se fait-il que cette idée ne semble ni évidente ni acquise à l'heure qu'il est ? « La logique-ontologie gréco-occidentale, [pour laquelle] « être » signifie « être prédéterminé », a occulté l'Histoire humaine en tant que « création ». »48 « La société étaye l'hétéronomie en rationalisant la représentation d'une origine extra-sociale de l'institution »49. Cette origine extra-sociale, dans certaines sociétés, sera un ordre divin, ou « naturel ». Dans les pays occidentaux, si les choses ne sont pas toujours expliquées de manière aussi crue, on cultive la représentation d'une société solidement établie et on n'encourage aucunement sa reprise en main par tout-un-e-chacun-e. « Le problème de la révolution est en fin de compte que la société se reconnaisse comme source de sa propre autorité et qu'elle s'auto-institue explicitement »49. Autrement dit, que la « socialité » et « l'historicité » ne soient pas vécues par les humain-e-s de manière passive et fataliste, mais « positivement »50.

La démocratie directe

Les pays occidentaux vantent leur modèle de « démocratie » et le présentent comme un aboutissement des idéaux humanistes. Mais soyons clair-e-s : notre « démocratie » n'est qu'une démocratie représentative, loin du « pouvoir du peuple » que devrait pourtant désigner son étymologie même. Castoriadis l'explique à travers sa critique de la représentation. « La représentation est (...) un principe étranger à la démocratie, car dès qu'il y a des « représentants » permanents, l'autorité, l'activité et l'initiative politiques sont enlevées au corps des citoyens pour être remises au corps restreint des « représentants », qui en usent alors à leur convenance et en fonction de leurs intérêts »51.

« Le refus de la représentation, qui est inévitablement aliénation (transfert de la propriété) de la souveraineté, des représentés vers les représentants »52, est lié au refus de la division du travail politique : Castoriadis critique « la division fixe et stable de la société politique entre dirigeants et exécutants, l'existence d'une catégorie d'individus dont le rôle, le métier, l'intérêt est de diriger les autres »53. Il affirme « le refus de toute science politique détenue par des spécialistes, (...) dont la revendication est profondément liée à l'idée d'une maîtrise et d'une conduite technocratique de la société »54. Il remet donc en question toute organisation politique basée sur ce principe de représentation, y compris dans le mouvement ouvrier, et rejette les partis : le parti est pour lui une « institution de nature essentiellement bureaucratique, où le pouvoir est exercé par une structure hiérarchique auto-cooptée, et qui n'est pas la seule forme d'expression concevable du pluralisme des opinions, qu'elle aurait plutôt tendance à étouffer et rigidifier »55.

Face à notre modèle de démocratie représentative, Castoriadis propose celui de démocratie directe, « que caractérisent trois traits essentiels : le peuple par opposition aux « représentants », le peuple par opposition aux « experts », la communauté par opposition à « l'Etat ». »51. Dans la démocratie directe, selon le principe d'autonomie, chaque loi est décidée directement et collectivement par toutes les personnes auxquelles elle s'applique, « en sorte que l'individu puisse dire, « réflexivement et lucidement, que cette loi est aussi la [s]ienne »56. L'autonomie suppose donc « un état dans lequel la question de la validité de la loi reste en permanence ouverte. »57. C'est ce questionnement politique même, collectif, lucide, délibéré et continuel, qui importe : Castoriadis l'associe à la philosophie et à « la vérité comme mouvement interminable de la pensée mettant constamment à l'épreuve ses bornes et se retournant sur elle-même (réflexivité) »58.

Pour mettre en place la démocratie directe, il nous faudra bien sûr abandonner la démocratie actuelle et changer nos institutions, mais il faudra aussi et surtout changer les mentalités. « Si [les citoyens] ne sont pas capables de gouverner - ce qui reste à prouver -, c'est que « toute la vie politique vise précisément à le leur désapprendre, à les convaincre qu'il y a des experts à qui il faut confier les affaires. Il y a donc une contre-éducation politique. Alors que les gens devraient s'habituer à exercer toutes sortes de responsabilités et à prendre des initiatives, ils s'habituent à suivre ou à voter pour des options que d'autres leur présentent. Et comme les gens sont loin d'être idiots, le résultat, c'est qu'ils y croient de moins en moins et qu'ils deviennent cyniques (...) Les institutions actuelles repoussent, éloignent, dissuadent les gens de participer aux affaires ». »59 Les humain-e-s doivent cesser de considérer la politique comme un domaine séparé et spécialisé, et doivent apprendre à la voir « comme un travail concernant tous les membres de la collectivité concernée, présupposant l'égalité de tous et visant à la rendre effective »60.

La praxis

« Castoriadis adopte et propose une vision politique de la démocratie, et non une vue sociologique ou simplement historique ; ce qui signifie non seulement comprendre, mais articuler l'interprétation à un projet pratique ».

Castoriadis ne veut pas se limiter au domaine de la théorie : il aborde aussi la question de la mise en pratique de nos idées. Cet aller-retour constant entre théorie et pratique, il l'appelle praxis (comme déjà le faisait Marx), et le défend avec ferveur. Rejetant la division entre celleux qui pensent et celleux qui agissent, Castoriadis propose une démarche où, pour chaque individu, la pensée et l'action se complètent et s'enrichissent mutuellement. « Non plus seulement interpréter le monde, mais le transformer. »61 « S'interroger sur la loi et ses fondements, et ne pas rester fasciné par cette interrogation, mais faire et instituer »62.

Cette démarche, cette praxis, est pour Castoriadis une brique essentielle dans la construction de l'autonomie, car elle fait de chaque individu-e l'acteur ou actrice d'initiatives, recherches, expérimentations, sans dépendre de maîtres-ses à penser. « La praxis est donc ce qui vise le développement de l'autonomie comme fin et utilise à cette fin l'autonomie comme moyen. Ainsi définie, la praxis ne se réduit pas à l'application d'un savoir préalable. Elle est un processus créatif  : « l'objet même de la praxis c'est le nouveau » et « son sujet lui-même est constamment transformé à partir de cette expérience où il est engagé et qu' il fait mais qui le fait aussi »63. Elle est « l'agir réflexif d'une raison qui se crée dans un mouvement sans fin comme à la fois individuelle et sociale »64.

Là encore Castoriadis s'éloigne du marxisme, critiquant un système de pensée trop fermé, dogmatique. Aux dogmes il oppose « la praxis, qui n'est pas application d'un savoir préalable, mais ce par quoi l'élucidation et la transformation du réel progressent dans un rapport intrinsèque et font surgir un savoir nouveau »65.Il ne s'agit pas, évidemment, d'abandonner la théorie révolutionnaire, mais bien de la rendre dynamique, vivante, questionnable, ouverte. « Il est (...) absurde de vouloir fonder le projet révolutionnaire sur une théorie complète - mais tout autant, a contrario, de le rejeter en raison de cette impossibilité »65.

Histoire du projet d'autonomie

Le projet de société autonome peut paraître une belle utopie, abstraite et idéale... Mais Castoriadis rappelle que ce projet, ce rêve existe depuis des centaines et des milliers d'années, depuis qu'on a commencé à parler de démocratie. « La tradition du projet d'autonomie se confond avec la tradition démocratique  »66. Bien sûr, la « démocratie » d'aujourd'hui est très loin du projet d'autonomie : elle doit être étendue, approfondie, Castoriadis parle de «  radicalisation de la problématique démocratique  »67. Mais il est bon de rappeler que l'aspiration à l'autonomie a des racines solidement ancrées dans l'Histoire, qu'elle ne vient pas de nulle part et qu'il n'y a aucune raison qu'elle s'arrête aujourd'hui. « Il est certain que ce projet politique est fort loin d'être réalisé, mais il n'est pas pour autant une pure vue de l'esprit. Car la démocratie existante est une société autonome en puissance, et cela, point décisif, parce qu'elle est déjà partiellement en actes  »68.

Les premières origines du projet d'autonomie, c'est « la création et valorisation de la démocratie, de la philosophie, de la « possibilité du choix » »69. Ainsi, ce projet « est inauguré par l'émergence, en Grèce ancienne, (...) de la philosophie et de la politique, par la création de l'interrogation illimitée et celle de l'activité explicitement tournée vers l'auto-institution de la société. » Les Grecs « n'ont jamais cessé de réfléchir à la question : qu'est-ce que l'institution de la société doit réaliser ? »70. Ils ont construit une société qui sur certains points était réactionnaire (vote interdit aux femmes, aux étranger-e-s), et sur d'autres était révolutionnaire (égalité des citoyens, participation de tous les citoyens à la vie publique, existence d'un espace public dédié à cette activité, importance du logos et de l'ethos). « Il n'y a pas de « spécialistes » des questions politiques [à Athènes]. (...) « Le bon juge du spécialiste n'est pas un autre spécialiste, mais l'utilisateur » »51.

Le projet d'autonomie a continué à exister tout au long de l'Histoire, porté par tous les mouvements qui visaient une société plus démocratique, plus égalitaire : les révolutions du XVIIIème, les Lumières, le mouvement ouvrier... Ces mouvements et ces expériences avaient toujours leur spécificité, réinventant à chaque fois le projet d'autonomie, notamment dans les périodes de révolutions (commune, soviets...). Le projet démocratique a fait sens dans l'Histoire et fait sens à chaque fois qu'il est « repris, recréé en tant que projet  »71. Il s'appuie aujourd'hui sur « des précédents historiques qui, malgré leurs échecs relatifs ou leurs insuffisances, et sans être nullement des modèles, valent et jouent comme des « germes » »71. Tout cela nous aide à garder en mémoire que la petite part de démocratie qui existe dans nos sociétés « n'a pas été engendrée par la nature humaine ni octroyée par le capitalisme, mais est là comme le résultat (...) de luttes et d'une histoire qui ont duré plusieurs siècles »72.

La validité du projet d'autonomie

Pourquoi choisit-on un projet de société plutôt qu'un autre ? Comment le justifie-t-on ? Quelles sont les raisons profondes, ultimes, qui rendent le projet d'autonomie préférable à d'autres ? Nos positions politiques partent souvent de principes de base, de présupposés, d'hypothèses inaugurales, difficiles à démontrer : « l'humain-e est naturellement bon-ne », « l'humain-e est naturellement mauvais-e », « Dieu existe », etc. etc. Si on creuse les discussions politiques, on se heurte souvent, au bout de la conversation, à de tels postulats.

Le postulat de base du projet d'autonomie, c'est la raison. L'humain-e serait doué de raison et aurait intérêt à s'en servir pour construire la société qui lui convient, pour la faire fonctionner en toute autonomie. Une démonstration rationnelle pourrait confirmer ce postulat de base. Mais le choix d'une démonstration rationnelle est déjà un choix. « Ce projet est une option raisonnable, mais non pas un « choix rationnel », car il n'existe pas d'argumentation soutenant le choix des valeurs ultimes orientant l'agir humain. Dire cela n'est pas refuser la raison, mais simplement reconnaître que « rien ne permet de « fonder » les choix ultimes (...). Rien ne peut nous sauver de notre responsabilité ultime (...). Pas même la Raison »73.

Impossible, alors, de clamer que le projet d'autonomie est objectivement le meilleur. Car le choix de la raison, qui le sous-tend, est un choix subjectif. « L'autonomie n'a rien d'une nécessité, elle est un projet dont la réussite n'est nullement assurée »74. Cela ne veut pas dire qu'il faut tomber dans un relativisme désespéré, et abandonner tout projet de société. Cela veut simplement dire que nous devons assumer cette subjectivité, cette liberté, cette responsabilité, sans s'en remettre à un principe supérieur.

« Castoriadis juge même que le fait de fonder philosophiquement en raison le projet de la raison est un « mauvais usage de la raison », car la décision même de philosopher n'est elle-même qu'une manifestation de la liberté, comme tentative d'être libre dans le domaine de la pensée : « nous avons décidé que nous voulons être libres - et cette décision est déjà la première réalisation de la liberté »75. « Il est impossible de fonder rationnellement la raison sans la présupposer. On doit dès lors accepter que (...) la position de la raison soit inaugurale, qu'elle soit une auto-position inaugurale »76. « Il reste par exemple le problème du refus de la raison, du droit, de la justification, de la discussion. Cette question difficile ne peut pas être éludée, car il est clair que pour reconnaître (ou refuser) des raisons, il faut se situer à l'intérieur de la raison »74.

Castoriadis affirme donc que nous ne pouvons nous reposer sur aucune certitude, aucun principe absolu, pour justifier nos choix de société. Il rappelle que toute la responsabilité d'un choix politique revient à l'humain-e, que ce choix ne dépend que de lui ou elle, qu'ille doit en être conscient-e et assumer cette responsabilité. C'est une position plus honnête que toutes les prétendues vérités universelles. Et c'est une position encore une fois cohérente avec cette idée d'autonomie, selon laquelle l'humain-e peut décider et agir librement, qu'aucune instance supérieure ne le gouverne ou ne préside à ses choix.

Mais à ce moment-là se pose la question de l'universalité du projet d'autonomie, comme de tout projet de société. Le choix de la raison serait-il un choix culturel, lié à l'histoire de l'Occident, serait-ce prétentieux, serait-ce un ethno-centrisme que de prétendre à ce qu'il se répande dans le monde entier, même chez des peuples qui ont d'autres cultures ? C'est ce que Castoriadis appelle la question de « la transvalidité du projet d'autonomie - le fait qu'il puisse valoir au-delà de son contexte d'apparition »77. Car l'acculturation à l'autonomie « repose sur le fait que [l'autonomie] peut faire sens pour d'autres sujets dans d'autres cultures »78.

Cette question ramène encore une fois à celle du relativisme. « Face à la pluralité et l'altérité des sociétés humaines (...) on peut se borner à reconnaître la différence comme telle, débouchant ainsi sur un relativisme intégral. Mais on peut aussi (...) distinguer la validité de fait , validité non questionnée de l'institué pour chaque société, et la validité de droit (...) que nous introduisons/acceptons dès que nous questionnons la validité de fait. [En s'appuyant sur] la réflexion et la délibération, c'est-à-dire la raison »76. La différence des cultures humaines n'est donc pas un prétexte pour ne jamais les questionner, pour les accepter telles quelles sans discuter. Elle devrait à l'inverse alimenter des réflexions et permettre des débats inter-culturels sur des projets de société. Les valeurs, relevant du domaine de la subjectivité, du choix, de l'opinion, peuvent être remises en cause. Et l'on peut défendre l'autonomie comme «  une valeur trans-sociale de droit, (...) qui repose elle-même sur une potentialité de tout être humain-social, celle de devenir une subjectivité réfléchissante, un être autonome et citoyen, et sur une potentialité de toute société humaine, celle de devenir une société autonome capable de se réfléchir et de se décider après délibération »77.

Mais défendre la valeur d'autonomie en tant que valeur trans-culturelle, universelle, ne veut pas dire l'imposer aux autres cultures. Car le principe même de cette valeur implique qu'elle soit adoptée en toute connaissance de cause et en toute liberté de choix. « Toute méthode violente est exclue par principe, car auto-contradictoire. (...) C'est seulement moyennant la propagation par l'exemple de ces valeurs et principes fondamentaux (...) et moyennant leur appropriation par les autres cultures, les autres sociétés et les autres individus, que le projet d'autonomie peut acquérir une transvalidité à la fois de droit et de fait »78. Quoi qu'il en soit, plusieurs exemples de luttes sociales dans des pays lointains montrent que les principes liés à l'autonomie existent en germe dans d'autres cultures que la nôtre, au point que les autorités locales présentent le besoin de leur opposer une forte répression.79

Une société autonome

« L'objectif de la politique n'est pas le bonheur, « affaire privée », mais la liberté »80.

Que sera, concrètement, une société autonome ? L'autonomie appliquée à diverses cultures donnera-t-elle des sociétés similaires voire identiques ? Quels sont les principes liés à l'autonomie ? L'autonomie entraîne-t-elle automatiquement avec elle d'autres valeurs sociales ? « L'autonomie vaut aussi et surtout pour pouvoir faire des choses. Mais faire quoi ? Ce « quoi » a rapport aux contenus, (...) aux valeurs positives d'orientation de l'action. »50. Ces valeurs seront diverses selon les sociétés et n'ont pas à être prescrites, mais on devine qu'elles auront à voir avec l'égalité, la liberté, la justice.

Développons un peu. La liberté, c'est « l'espace de mouvement et d'action le plus large possible ». L'égalité, c'est une « égalité de droits et de devoirs, (...) et de toutes les possibilités effectives de faire »81. « Liberté et égalité s'impliquent réciproquement »82. Et quant à la justice, «  une société juste n'est pas une société qui a adopté, une fois pour toutes, des lois justes, [mais] une société où la question de la justice reste constamment ouverte - autrement dit, où il y a toujours possibilité socialement effective d'interrogation sur la loi et le fondement de la loi »83.

Quand Castoriadis parle d'égalité, « il s'agit « d'égalité politique, d'égalité de participation au pouvoir  » ; et non d'identité ou d'uniformité entre les individus »84. « Le projet d'autonomie est incohérent et inconsistant s'il ne réserve pas d'emblée une place centrale à la question des conditions d'exercice de l'autonomie »85. En effet, l'autonomie a-t-elle un sens si elle est réservée à quelques privilégié-e-s ? « Pas d'exécution sans participation égalitaire à la prise de décisions »86. Quelles sont alors les conditions de cette égalité politique, comment la construire ? L'égalité démocratique « implique non seulement la capacité de juger, mais aussi « le temps nécessaire pour l'information et la réflexion - ce qui conduit directement à la question de la production et de l'économie » »87. L'égalité politique requiert donc d'une part une éducation et une information qui donnent à tou-te-s les moyens intellectuels de participer à l'autogestion de la société, et d'autre part une économie qui n'accapare pas toute entière le temps et les forces des humain-e-s, qui leur en laisse suffisamment pour qu'illes puissent se pencher véritablement sur les questions de société. Le principal argument des partisan-e-s de la démocratie représentative n'est-il pas qu'illes manquent de temps, le soir en rentrant du travail, pour se préoccuper de politique, et qu'illes sont content-e-s de pouvoir déléguer cette tâche à des spécialistes ?

Toutes ces idées sont bien belles, mais, diront les sceptiques, comment les appliquera-t-on dans la réalité ? Comment faire fonctionner, concrètement, une société autonome ? Castoriadis se garde de donner une réponse toute faite, une recette magique et figée. Mais il a quand même donné quelques pistes, notamment à l'époque de la revue Socialisme et Barbarie, en s'inspirant du conseillisme88. Il rappelle d'abord qu'il s'agit de permettre « une participation civique maximale, elle-même rendue possible par des institutions adéquates. » « Les institutions, et au premier chef le travail, doivent devenir compréhensibles et contrôlables »89. Les institutions sont des outils, des moyens, qui doivent rester entièrement maîtrisés par leurs usager-e-s, et qui doivent aider l'exercice égalitaire de l'autonomie. Par exemple ce seront des outils d'information pertinente. Ou des corps de délégué-e-s tournant-e-s et révocables (« toute irrévocabilité (...) tend logiquement et réellement à « autonomiser » le pouvoir »90). Ou des fonctionnements qui permettront au peuple de « revenir éventuellement sur une décision erronée ou sur une mauvaise loi et la modifier »91. Ou des structures fédérales qui uniront les différentes collectivités locales, (les « conseils ») assurant à la fois leur mise en réseau efficace, à la fois une décentralisation maximale de la société89. Ou des entreprises administratives, soumises au pouvoir de l'A.G. des conseils, qui restent en place entre ces A.G. et qui en assurent la continuité92.

Et sur le plan économique ? Castoriadis énonce l'idéal d'une économie autogérée qui pourrait « restaurer la domination de l'homme sur la technique et rétablir le travail dans son caractère d'activité créatrice »89. Il note bien que « la démocratie implique l'autogestion, qui est elle-même la démocratie dans la production  »93. Autrement dit, cette fameuse autogestion correspond à « la réunification des fonctions de direction et d'exécution et la suppression de la contrainte économique »89.

Castoriadis décrit également une institution possible pour aider l'autogestion de l'économie : « l'usine du plan ». « La gestion de l'économie par les travailleurs mobilise un dispositif technique sans pouvoir propre, « l'usine du plan », qui permet d'élaborer, à partir d'un objectif final, des plans comportant toutes les implications en termes de quantité de travail, de productivité, etc. Déterminant les 2 données fondamentales - le temps de travail qu'elle veut consacrer à la production, la répartition de la production entre consommation privée, consommation publique et investissement - la collectivité choisit en toute connaissance de cause dans la gamme des orientations possibles, définies à l'aide des plans »89.

Autant ces formes d'institutions peuvent donner des idées et répondre aux pragmatismes primaires et désespérés, autant elles ne doivent pas être vues comme indiscutables et parfaites : dans l'autonomie rien n'est indiscutable, et rien ne sert de modèle absolu. Castoriadis rappelle constamment que les institutions, dans une société autonome, seront le fruit de la délibération, de l'imagination des expérimentations de chaque collectivité. Et pour préciser la manière dont il voit leur rôle, il écrit que « le problème crucial d'une société post-révolutionnaire n'est ni celui de la « gestion de la production » ni celui de l'organisation de l'économie. C'est le problème politique proprement dit, ce que l'on pourrait appeler le négatif du problème de l'Etat, à savoir, la capacité de la société d'établir et de conserver son unité explicite et concrète sans qu'une instance séparée et relativement autonome - l'appareil d'Etat - soit chargé de cette « tâche » »94.

L'auto-limitation

« La société autonome ne connaît d'autre limitation que son auto-limitation »95. Pas d'Etat, pas de police, pas de traditions à craindre, pas de promesses de paradis ou d'enfer : qui posera des limites à la liberté humaine, qui empêchera les humain-e-s de commettre des bêtises ? Rien ni personne d'autre que leur propre conscience, leur propre éthique, leur propre réflexion. C'est le paradoxe de l'autonomie, qui à la fois cultive la liberté des humain-e-s, et à la fois cultive une capacité de cette liberté à se mesurer elle-même. « Les deux aspects - créativité et auto-limitation - sont inséparables : la liberté ne peut être dissociée de l'adoption de comportements prudents. »96. Il y a une « tension entre l'illimitation - (...) la possibilité illimitée par principe de se transformer - et l'auto-limitation. Or, affronter ce problème récurrent, que rien ne peut résoudre d'avance, c'est la tâche des individus éduqués dans, par et pour la démocratie »97. « Il faut à la fois favoriser l'activité instituante et introduire le maximum de réflexivité en elle »95.

Ainsi, la démocratie peut faire peur. « Régime de la liberté, cette démocratie est donc le régime du risque historique. Mais elle est aussi, ipso facto, le régime de l'auto-limitation. »51 La démocratie, « régime tragique » du « risque historique » : cela « ne signifie pas qu'elle est plus exposée que d'autres formes de société aux menaces sur son intégrité, mais qu'elle se confronte à l'absence totale d'assurances ultimes quant à son être propre, ses orientations, ses décisions et leurs conséquences »98. En effet, qu'en est-il des autres sociétés, de la démocratie représentative par exemple ? Comportent-elles plus d'assurances ultimes quant à leur intégrité ? Pas vraiment : elles ne font que cultiver des assurances illusoires ; les citoyen-ne-s effrayé-e-s par l'abîme de la liberté pensent se préserver en confiant les dangereuses tâches politiques aux sécurisant-e-s expert-e-s politicien-ne-s. Ce faisant, illes ne se confrontent pas directement au « risque historique », illes le fuient en le délégant... Mais doivent bien s'apercevoir au bout du compte que les expert-e-s ne sont pas plus raisonnables qu'elleux-mêmes, qu'illes mènent tout droit la société dans l'hubris, l'expansion illimitée et incontrôlée. Ainsi les humain-e-s ont tout intérêt à reprendre possession de leur sort collectif, « en opposant leur créativité au processus de réification, et dans celui d'une frugalité raisonnable, en opposant leur autolimitation à la démesure capitaliste »96. Il s'agit donc d'affirmer haut et fort la portée politique de la responsabilité, de la conscience et de l'auto-limitation, principes subversifs dans une société qui noie ses angoisses existentielles dans une fuite en avant aux relents pharaoniques. « Ce n'est qu'à partir de cette conviction, à la fois profonde et impossible, de la mortalité de chacun et de tout ce que nous faisons, que l'on peut vraiment vivre comme être autonome et qu'une société autonome devient possible »99.

Comment, dans une société autonome, gérer concrètement cette « tension/contradiction entre, d'un côté, la libération (...) de la créativité sociale (cette libération étant une caractéristique centrale d'une démocratie véritable) et de l'autre, les dispositions « prudentes  », les dispositifs institutionnels et les dispositions anthropologiques « raisonnables » chargées de prévenir l'hubris , la démesure »100 ? Quels seront ces dispositifs et dispositions, ces outils de l'auto-limitation ?

Les institutions de l'auto-limitation peuvent certes être multiples, ce peuvent être des structures démocratiques qui veillent au respect du principe d'autonomie, qui empêchent les prises de pouvoir unilatérales, qui assurent le maintien des droits et des acquis sociaux. Ce peuvent être des organes de « production et diffusion maximales de l'information politiquement pertinente, indispensable aux citoyens pour une prise de décision en connaissance de cause »101.

Mais aucune institution ne suffira jamais à garantir les principes d'autonomie et d'auto-limitation. Ces principes doivent être intériorisés par les humain-e-s : leur éducation doit leur transmettre des valeurs fortes, un souci de la chose publique, un intérêt pour la conscience et la responsabilité. « S'il n'y a aucune garantie absolue pour une société autonome, la garantie « la moins contingente de toutes se trouve dans la paideia des citoyens, dans la formation (toujours sociale) d'individus qui ont intériorisé à la fois la nécessité de la loi et la possibilité de la mettre en question, l'interrogation, la réflexivité et la capacité de délibérer, la liberté et la responsabilité ». »102

Une mutation anthropologique

C'est là que Castoriadis relativise l'importance de réfléchir aux institutions d'une société autonome. Il rappelle constamment que pour construire une société autonome, il ne suffit pas d'empiler les aménagements techniques, les changements de structure, d'économie, d'institutions. Tous ces changements n'ont aucun sens si les attitudes, les motivations profondes des humain-e-s ne changent pas. « Face à l'émergence toujours possible de tendances bureaucratiques, il est absolument indispensable que la population dans son ensemble exerce le pouvoir. Mais cela suppose évidemment qu'elle le veuille »92. Et là nous touchons au domaine de ce que Castoriadis appelle les « significations » sociales. L'imaginaire de la société, qui est aussi celui de chaque personne membre cette société, est composé de « significations » : c'est l'éthique, la culture, les représentations, les valeurs, le sens qui vont orienter l'action et le quotidien des humain-e-s, et qui sont transmis par l'éducation, par la paideia. C'est ce qui qualifiera le « bien » et le « mal », « l'important » et « l'anodin », « l'utile » et « l'inutile »... C'est ce qui détermine nos choix, ce qui donne du poids à l'obéissance, ou à la carrière, ou à la solidarité... C'est ce qui concerne « le niveau le plus radical, des ressorts profonds et des motivations de l'agir humain ». Nous sommes dans « un monde réel qui ne tient ensemble qu'avant tout parce qu'il est un « monde de significations » »103 : la société « comporte une composante imaginaire qui excède toute détermination fonctionnelle »104.

Cet imaginaire, cet ensemble de mœurs et de « significations », compose un certain type d'individu, un certain type d'être, ce que Castoriadis appelle un « type anthropologique ». Chaque culture, chaque régime politique, crée un « type anthropologique » qui lui correspond et que les individu-e-s intériorisent. Castoriadis rappelle le « fait, bien connu de Platon, Rousseau et d'autres, qu'il n'existe aucune institution sociale et politique qui ne soit liée aux mœurs , c'est-à-dire à la totalité de la structure anthropologique, socio-psychologique, des individus vivant sous cette institution »105. En d'autres mots, « les institutions et les moeurs ne sont pas dissociables »106. Les institutions seules d'une société ne suffiraient d'ailleurs pas à maintenir l'ordre social, tout comme elles ne suffiront pas à construire une société autonome : les mœurs gouvernent les humain-e-s bien plus profondément que les institutions, car elles les entraînent à adhérer spontanément à l'ordre social. « En se créant, la société crée l'individu et les individus dans et par lesquels seulement elle peut être effectivement »107.

Ainsi, construire une société révolutionnaire ne signifie pas simplement changer les structures administratives, changer les institutions, changer l'appareil de production... Cela signifie changer de valeurs, changer de mœurs, de morale, de mentalité, opérer ce que Castoriadis appelle « une mutation anthropologique ». « C'est seulement au niveau culturel qu'une politique de la liberté peut s'ancrer profondément et durablement, et par conséquent être investie par les individus »108. Construire une société autonome, c'est donc combattre les valeurs du capitalisme et de l'hétéronomie, c'est susciter « un renouveau des attitudes profondes des gens », c'est les encourager à « envisager comme finalité essentielle [leur] propre transformation »109. En ce sens, l'autonomie pour Castoriadis est bien plus qu'une forme politique, plus qu'une simple technique, qu'un simple moyen. « Elle est indissociable d'une conception substantive des fins de l'institution politique et d'une vue, et d'une visée, du type d'être humain lui correspondant »110.

Le chantier de destruction, de déconstruction de l'imaginaire capitaliste111, portera entre autres sur les valeurs de l'économie et de la hiérarchie. « Le prix à payer pour la liberté, c'est la destruction de l'économique comme valeur centrale, en fait, unique »112. « Cette rétrogradation [de l'économique], qui revient à remettre l'économie « à sa juste place, de simple moyen de la vie humaine », équivaudrait à détrôner l'investissement psychique et social de l'accumulation et de la compétition, permettant du coup une libération des énergies individuelles et collectives en vue de réimpulser l'investissement de la politique et de la démocratie »113.

Les valeurs économiques et hiérarchiques sont souvent imbriquées l'une dans l'autre, puisque l'accumulation de biens, à laquelle nous motive l'économie capitaliste, amène tout un imaginaire hiérarchique : la compétition, la différenciation des revenus, l'échelle sociale114... Mais l'imaginaire de la hiérarchie, qu'on retrouve dans « l'expertise », dans la bureaucratie, ne se limite pas, bien sûr, au domaine économique... Castoriadis « souligne la dimension à la fois sociale et psychique du problème [de la hiérarchie], qui touche à l'identité et l'auto-représentation des individus telles que mises en forme et orientées dans leur contenu par les institutions sociales »114. Il répète la nécessité de mettre en place d'autres valeurs, la nécessité d'un projet de société autonome où « la passion pour la démocratie et pour la liberté, pour les affaires communes, prend la place de la distraction, du cynisme, du conformisme, de la course à la consommation »112.

Castoriadis décrit en effet ce que pourrait être le « type anthropologique » de la société autonome. Il parle d'un « sujet de l'autonomie », c'est-à-dire d'un type d'individu bien particulier, « un type d'être qui se donne à soi-même, réflexivement, ses lois d'être »115. « Un être humain qui soit une « subjectivité réfléchissante et délibérante », un « sujet » au sens plein, capable de réflexivité et de volonté (capacité d'action délibérée), (...) un citoyen actif et responsable ayant investi les visées de liberté et de lucidité »42. « Le sujet de l'autonomie s'instaure ainsi comme instance active et lucide, rendant par là possible une politique de la liberté, fondée sur la responsabilité des individus »45. Castoriadis, s'attachant ainsi à décrire les « individus autonomes - autonomes au moins en devenir  »116, ne se limite pas aux considérations sociologiques globales, et descend fouiller jusqu'à l'échelle de l'individu ce que pourrait signifier le projet d'autonomie. La psychanalyse, qu'il pratique, intervient aussi, selon lui, pour aider cette construction d'un sujet autonome : « la psychanalyse a, pour l'essentiel, le même objet que la politique : l'autonomie des êtres humains »117. Elle aide la raison, pour chaque individu, « non pas [à] supprimer les pulsions et évacuer l'inconscient, mais [à] « prendre leur place en tant qu' instance de décision  ». »118

Il faut bien saisir qu'au fond des questions de valeurs, de « type anthropologique », il y a des questions existentielles. Face à la question du sens de la vie, face à l'effrayant « abîme du monde », chaque culture a ses réponses, chaque société rassure ses membres. « Si l'institution sociale a pour « fonction » première l'auto-conservation, elle doit pour cela assurer une autre fonction essentielle : la socialisation de la psyché, la fabrication sociale de l'individu, dans et par laquelle l'institution doit surtout fournir du sens à la psyché »119. Dans l'hétéronomie, le sens de l'agir humain est dicté par des principes supérieurs et inébranlables : la religion, la tradition, transmettent une morale qu'on ne saurait remettre en cause, sous peine d'exclusion. Castoriadis dit alors que le sens est clos : il est fixé, imposé, immobile. Dans une véritable démocratie, au contraire, « il n'y a ni sens donné, ni garant du sens, mais seulement du sens créé dans et par l'Histoire Humaine. La démocratie doit donc écarter le sacré »99. Et la démocratie signifie donc « la rupture de la clôture du sens, incarnée dans la mise en question des institutions établies et des représentations collectivement admises »120. Les significations sociales doivent être conscientes et réfléchies pour chaque membre de la société, et elles doivent à tout moment pouvoir être remises en question. Elles doivent être « sans fondement absolu » ni « garantie extra-sociale »119.

La paideia

Castoriadis décrit donc l'idéal d'un « type anthropologique » de l'autonomie, il décrit quelle « mutation anthropologique » il faudrait entamer aujourd'hui. Mais il décrit aussi l'outil qui peut construire ce « type anthropologique », ces individu-e-s autonomes : il l'appelle « paideia ». Ce mot recouvre pour lui tous les processus d'éducation, au sens large : l'éducation des enfants, l'école, mais aussi l'éducation de tous les êtres, à tous les âges de la vie, leur socialisation, par la culture qui baigne la société. « La paideia, l'éducation-socialisation, (...) a pour fonction d'incarner et transmettre la conception (...) du bien commun. »80. « C'est dans et par elle seulement que peut se réaliser l'intériorisation des significations et des institutions démocratiques »121. En effet, comme dans toute société, l'éducation, la socialisation, l'acculturation, fait le lien entre chaque individu et l'ensemble de la société, entre le domaine intime, personnel, de la psyche, et le domaine collectif des structures sociales. En des termes plus savants, la paideia « pourvoit à l'interfaçage psyche-société », une médiation entre « les deux pôles où l'autonomie est en jeu, le pôle individuel, avec la psyche et la praxis psychanalytique, et le pôle collectif, avec la société et la praxis politique »108.

Castoriadis aborde également la question précise de l'école. Son but, d'après lui, ne devrait pas être celui de gaver le cerveau des enfants, mais de développer leur autonomie dans l'apprentissage. « A propos d'une telle éducation, dont l'objet fondamental « n'est pas d'enseigner des matières spécifiques, mais de développer la capacité d'apprendre du sujet - apprendre à apprendre, apprendre à découvrir, apprendre à inventer », deux principes s'imposent : « tout processus d'éducation qui ne vise pas à développer au maximum l'activité propre des élèves est mauvaise, tout système éducatif incapable de fournir une réponse raisonnable à la question éventuelle des élèves : pourquoi devrions-nous apprendre cela ? est défectueux. ». »122 « La pédagogie doit, à chaque instant, développer l'activité propre du sujet en utilisant, pour ainsi dire, cette même activité propre »123 : là encore Castoriadis reprend l'idée de l'autonomie comme fin et comme moyen. « Une éducation non mutilante [...] est d'une importance capitale »123. « L'éducation ainsi conçue ne peut être que publique, elle n'est pas garantie du tout, ni dans son déroulement ni dans ses résultats, et surtout elle n'est pas neutre. Elle est une activité paradoxale, qui consiste à « influencer l'enfant pour l'aider à se débarrasser de ses influences ». »123

Insistant sur « la nature profondément politique de la question de l'éducation »121, Castoriadis fait donc de la paideia «  l'institution la plus radicale, centrale et fondamentale du projet d'autonomie »124.

La révolution

Pour Castoriadis, l'avènement d'une société autonome passe par une révolution. Mais pour lui, la révolution n'est pas seulement un moment ponctuel et brutal, ni n'ouvre d'un coup les portes d'une ère paradisiaque. La révolution est surtout un processus, qui peut prendre du temps, où l'autonomie est déjà mise en pratique, et qui remet en question la société dans sa globalité. « Une modification radicale de l'existant impliquant l'activité autonome des hommes. »65 « La révolution correspond au changement de certaines institutions centrales de la société par l'activité de la société elle-même, et elle se caractérise par l'entrée de l'essentiel de la communauté dans une phase d'activité politique, c'est-à-dire instituante. »125 C'est cette activité instituante qui correspond à l'activité autonome : le questionnement politique n'est pas délégué à des expert-e-s, il est réapproprié par tout-un-e-chacun-e, il prend une place essentielle dans la vie sociale. Et cette activité autonome anime le processus révolutionnaire mais aussi la société autonome qui lui succède. « Le principe central est que la forme de la révolution et de la société post-révolutionnaire, conçues toutes deux comme des processus, est précisément l'activité d'auto-organisation et d'auto-institution. »126

Pourquoi nous faut-il une révolution pour changer la société ? « La société est totalité effective, et (...) donc sa réorientation et sa réorganisation ne peuvent s'inscrire que dans et par une réinstitution globale et radicale, c'est-à-dire prenant pour objet à la fois les institutions, les moeurs et les sujets sociaux qui les animent »105. Castoriadis insiste sur l'aspect global de notre société : tout s'y tient, l'aliénation concerne tous les domaines de la vie, l'économie, la culture, etc. La critique de la société doit « s'élargir à tous les aspects de la vie moderne »127. Et le renversement de cette société, par conséquent, ne peut être que total. D'ailleurs, « pour Castoriadis, c'est précisément le fait que les gens soient animés par une visée et une volonté globales qui permet » de parler d'expériences révolutionnaires dans l'Histoire105. Ainsi, « la politique révolutionnaire consiste à reconnaître et expliciter les problèmes de la société comme totalité, à les aborder de façon active et à montrer que la mise en oeuvre du projet révolutionnaire accroîtrait la capacité de la société de faire face à ses propres problèmes »128.

Quel est le sujet de la révolution ? C'est toutes les personnes qui s'engagent dans les processus d'autonomie. « Insistant sur la structure hiérarchique pyramidale de la société bureaucratisée, où la coupure dirigeants/exécutants tend à se relativiser du fait de l'émergence croissante de couches intermédiaires, [Castoriadis] soutient en outre que les concepts traditionnels de « classe » et « d'exploitation » cessent d'être pertinents pour la société moderne, et que la seule distinction valable s'établit entre ceux qui acceptent le système et ceux qui le combattent. A cet égard, une prise de conscience de la totalité des problèmes pourrait rencontrer la tendance à l'autonomie inscrite dans les manifestations concrètes de la vie des hommes »129. D'ailleurs, Castoriadis voit dans les crises actuelles de la socialisation (« inadaptation », piratages, « problèmes des banlieues »...) des signes de la volonté des gens de prendre leur vie en main129. Ce sont des symptômes de cette tendance à l'autonomie, qu'il faut aider à conscientiser et à rendre explicites, et qu'il faut encourager à s'affirmer, sans tomber dans le piège des partis politiques « révolutionnaires », qui en réalité reproduisent un schéma de délégation, d'hétéronomie. « S'agissant des formes d'organisation et d'action de la population, l'idée centrale consiste à concurrencer et marginaliser les partis politiques moyennant la création et la mise en oeuvre par la population d'organes collectifs autonomes et démocratiques »130. Castoriadis parle de « l'autonomie du prolétariat : (...) ce dernier doit parvenir à la conscience socialiste que dans et par son expérience propre »131.

Conclusion

L'autonomie est le « régime qui essaie de réaliser, autant que faire se peut, l'autonomie individuelle et collective, et le bien commun tel qu'il est conçu par la collectivité concernée »132. Il n'est autre qu'une « radicalisation de la problématique démocratique », et s'enracine donc dans une Histoire millénaire. Pour le construire, Castoriadis ne donne pas de recettes, ne résout pas a priori les obstacles, mais ouvre des perspectives. Il préconise un changement social radical et global, nécessitant :

-  démocratie directe et praxis, pour construire « une politique démocratique authentique »

-   une paideia et une mutation anthropologique qui bâtissent une culture de l'autonomie et des individu-e-s qui se posent en acteurs et actrices d'une démocratie véritable : des citoyen-ne-s lucides et actifs/ves.

Le projet d'autonomie implique « un véritable devenir public de la sphère publique/publique, une réappropriation du pouvoir par la collectivité, l'abolition de la division du travail politique, la circulation sans entraves de l'information politiquement pertinente, l'abolition de la bureaucratie, la décentralisation la plus extrême des décisions, le principe : pas d'exécution des décisions sans participation à la prise de décisions, la souveraineté des consommateurs, l'auto-gouvernement des producteurs - accompagnés d'une participation universelle aux décisions engageant la collectivité, et d'une auto-limitation »133.

« La renaissance du projet d'autonomie requiert (...) un changement radical de la représentation du monde et de la place des humains dans celui-ci. (...) Il faut détruire la (...) poussée d'expansion indéfinie d'une prétendue maîtrise et constellation d'affects qui l'accompagnent : irresponsabilité et insouciance. Nous devons dénoncer l'hubris en nous et autour de nous, accéder à un ethos d'auto-limitation et de prudence, accepter cette mortalité radicale pour devenir enfin, tant que faire se peut, libres »134.

Anonyme

P.S.

Notes

1. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.140

2. Cornelius Castoriadis, Le régime social de la Russie, 1978, in les Carrefours du Labyrinthe II, Seuil 1986, rééd. 1999, pp. 197-198

3. Cornelius Castoriadis, Complexité, magma, histoire, 1993, in les Carrefours du Labyrinthe V, Seuil 1997, pp.219-221

4. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, pp.142-143

5. Cornelius Castoriadis, La montée de l'insignifiance, 1994, in les Carrefours du Labyrinthe IV, Seuil 1996, p.101

6. Cornelius Castoriadis, Le délabrement de l'Occident, 1991, in les Carrefours du Labyrinthe IV, Seuil 1996, pp.67-68

7. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, pp.144-145

8. Idem, p.24 / 9. Idem, p.21 / 10. Idem, p.23 / 11. Idem, p.22

12. Cornelius Castoriadis, Le mouvement révolutionnaire sous le capitalisme moderne, 1960-1961, in Capitalisme moderne et révolution II, 10/18 1979, pp.135-139

13. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.159

14. Cornelius Castoriadis, Fait et à faire, 1989, in les Carrefours du Labyrinthe V, Seuil 1997, p.75

15. Cornelius Castoriadis, Le mouvement révolutionnaire sous le capitalisme moderne, 1960-1961, in Capitalisme moderne et révolution II, 10/18 1979, p.49

16. Cornelius Castoriadis, Le mouvement révolutionnaire sous le capitalisme moderne, 1960-1961, in Capitalisme moderne et révolution II, 10/18 1979, p.140-144

17. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.27 / 18. idem, p.149

19. Cornelius Castoriadis, Le mouvement révolutionnaire sous le capitalisme moderne, 1960-1961, in Capitalisme moderne et révolution II, 10/18 1979, p.69

20. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.102

21. Cornelius Castoriadis, Quelle démocratie ?, 1990, in les Carrefours du Labyrinthe VI, Seuil 1999, p.150-152

22. Cornelius Castoriadis, Une exigence politique et humaine, Alternatives économiques n°53, janvier 1988, p. 28

23. Cornelius Castoriadis, Introduction générale, 1973, in La société bureaucratique, 10/18 1973, p.40

24. Cornelius Castoriadis, La montée de l'insignifiance, 1994, in les Carrefours du Labyrinthe IV, Seuil 1996, pp.90-91

25. Cornelius Castoriadis, La crise de la société moderne, 1966, in Capitalisme moderne et révolution II, 10/18 1979, pp.295-299

26. Cornelius Castoriadis, La crise de la société moderne, 1982, in les Carrefours du Labyrinthe IV, Seuil 1996, pp.12-19

27. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.166

28. Cornelius Castoriadis, La crise des sociétés occidentales, 1982, in les Carrefours du Labyrinthe IV, Seuil 1996, pp.20-26

29. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.155

30. Cornelius Castoriadis, Entretien accordé au journal Le Monde, 10 décembre 1991

31. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.153, et Cornelius Castoriadis, Entretien accordé au journal Le Monde, 10 décembre 1991

32. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.32 / 33. idem, p.35

34. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.33

35. Cornelius Castoriadis, Marxisme et théorie révolutionnaire, 1964-1965, L'Institution imaginaire de la société, Seuil 1975 rééd. 1999, p.15

36. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.30 / 37. idem, p.29

38. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.36, et Cornelius Castoriadis, La question de l'histoire du mouvement ouvrier, 1974, in L'expérience du mouvement ouvrier I, éd.10/18 1974, pp.11-120

39. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.43

40. Cornelius Castoriadis, Le contenu du socialisme, 1955, éd.10/18 1979, p.95

41. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.53 / 42. idem, p.80

43. idem, p.156 / 44. idem, p.60 / 45. idem, p.53 / 46. idem, p.69 / 47. idem, p.61 / 48. idem, p.55

49. idem, p.59 / 50. idem, p.99 / 51. idem, p.89 / 52. idem, p.103

53. Cornelius Castoriadis, Fait et à faire, 1989, in Les carrefours du labyrinthe V, Seuil 1997, p.66

54. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.117 / 55. idem, p.104

56. Idem, p.66 / 57. Idem, p.54

58. Cornelius Castoriadis, Pouvoir, politique, autonomie, in Les carrefours du labyrinthe III, rééd. Seuil 2000, pp.123-129

59. Cornelius Castoriadis, Stopper la montée de l'insignifiance, paru dans le Monde Diplomatique, août 1998, pp.22-23

60. Cornelius Castoriadis, la Démocratie comme procédure et comme régime, 1996, in Les carrefours du labyrinthe IV, Seuil 1996

61. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.36

62. Cornelius Castoriadis, Pouvoir, politique, autonomie, in Les carrefours du labyrinthe III, rééd. Seuil 2000, pp.131

63. Cornelius Castoriadis, L'institution imaginaire de la société, rééd. Seuil 1999, pp.103-106

64. Cornelius Castoriadis, Pouvoir, politique, autonomie, in Les carrefours du labyrinthe III, rééd. Seuil 2000

65. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.48 / 66. Idem, p.94

67. Idem, p.92 / 68. Idem, p.109 / 69. Idem, p.126

70. Cornelius Castoriadis, La polis grecque et la création de la démocratie, 1983, in Les Carrefours du labyrinthe II, rééd. Seuil 1999, pp.305-306

71. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.124

72. Cornelius Castoriadis, Tiers-monde, tiers-mondisme, démocratie, 1985, in Les carrefours du labyrinthe II, rééd. Seuil 1999, pp.108-109

73. Cornelius Castoriadis, Individu, société, rationalité, histoire, 1988, in Les carrefours du labyrinthe III, rééd. 2000, p.63

74. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.128

75. Cornelius Castoriadis, Individu, société, rationalité, histoire, 1988, in Les carrefours du labyrinthe III, rééd. 2000, p.69

76. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.125

77. Idem, p.129 / 78. Idem, p.130 / 79. Idem, p.133 / 80. Idem, p.112

81. Cornelius Castoriadis, Socialisme et société autonome, 1979, in Le contenu du socialisme, éd. 10/18 1979, pp.17-18

82. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.96

83. Cornelius Castoriadis, Socialisme et société autonome, 1979, in Le contenu du socialisme, éd. 10/18 1979, pp.40-43

84. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.169, et Cornelius Castoriadis, Quelle démocratie ?, 1990, in Les carrefours du labyrinthe VI, Seuil 1999, p.153

85. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.97

86. Cornelius Castoriadis, Socialisme et société autonome, 1979, in Le contenu du socialisme, éd. 10/18 1979, pp.15-28

87. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.171, et Cornelius Castoriadis, Quelle démocratie ?, 1990, in les Carrefours du Labyrinthe VI, Seuil 1999, p.153

88. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.100

89. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.41 / 90. Idem, p.103

91. Cornelius Castoriadis, Les enjeux actuels de la démocratie, 1986, art. cité, pp.317-318

92. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.42

93. Cornelius Castoriadis, Une exigence politique et humaine, 1988, art. cité, p.26

94. Cornelius Castoriadis, La source hongroise, 1976, in Le contenu du socialisme, éd. 10/18 1979, pp. 406-407

95. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.98

96. idem, p.176 / 97. idem, p.113 / 98. idem, p.112 / 99. idem, p.114 / 100. idem, p.115 /

101. idem, p.170

102. Cornelius Castoriadis, Pouvoir, politique, autonomie, in Les carrefours du labyrinthe III, rééd. Seuil 2000, p.139

103. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.58 / 104. idem, p.56 105. idem, p.75 / 106. idem, p.119

107. Cornelius Castoriadis, Pouvoir, politique, autonomie, in Les carrefours du labyrinthe III, rééd. Seuil 2000, pp.114-115

108. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.78

109. idem, p.157

110. Cornelius Castoriadis, La démocratie comme procédure et comme régime, 1996, in Les carrefours du labyrinthe IV, Seuil 1996, p.221

111. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000,p.177

112. Cornelius Castoriadis, Fait et à faire, 1989, in Les carrefours du labyrinthe V, Seuil 1997, p.76

113. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000,p.178

114. idem, p.180

115. Cornelius Castoriadis, Pouvoir, politique, autonomie, in Les carrefours du labyrinthe III, rééd. Seuil 2000, p.131

116. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000,p.118

117. idem, p.79 / 118. Idem, p.79, et Cornelius Castoriadis, L'institution imaginaire de la société, 1975, Seuil 2000, pp.138-146

119. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000,p.72

120. idem, p.110 / 121. Idem, p.120

122. Cornelius Castoriadis, Psychanalyse et politique, 1989, in Les Carrefours du labyrinthe III, rééd. Seuil 2000, pp. 146-150

123. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d'autonomie, éd. Michalon 2000, p.82 / 124. idem, p.81 125. idem, p.76 / 126. idem, p.77 / 127. idem, p.44 / 128. idem, p.49 / 129. idem, p.45 / 130. idem, p.169 / 131. idem, p.39

132. Cornelius Castoriadis, La démocratie comme procédure et comme régime, 1996, in Les carrefours du labyrinthe IV, Seuil 1996, pp.226-240

133. Cornelius Castoriadis, Fait et à faire, 1989, in Les carrefours du labyrinthe V, Seuil 1997, p.74

134. Cornelius Castoriadis, Quelle démocratie ? 1990, in les Carrefours du Labyrinthe VI, Seuil 1999, pp.179-180


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Loi capital, illusion démocratie 49.3, révolution sociale !


Peu sont contents de la manière 49.3 utilisé pour imposer la "loi travail" ("loi capital" sonnerait plus juste, mais puisque d'après eux la guerre c'est la paix, la confusion régne en maitre...). Sauf que si ça avait été voté et imposé par une majorité d'élus parlementaires, cela aurait-il été mieux ? cela aurait été démocratique même si cela avait été imposé par les élites ?

l'illusion pour la démocratie aristocratique, telle qu'elle est depuis des siécles, est tenace. C'est comme si la réalité n'était pas assez percutante pour comprendre que la république ne peut pas répondre et n'a pas à répondre aux besoins primaires des gens, c'est les gens eux-mêmes qui ont à gérer directement leurs vies avec les autres et non des escrocs / incompétents (les seuls compétents sont les gens eux-mêmes liès à leurs réalités) / politiciens / ploutocrates / gauchos / droitos / centros / extremistos, etc ...

Et justement la réalité que vivent la plupart des gens, c'est la réalité du travail (ou de la recherche de travail) soumise au capital. Et même si certains croient que des gens sont plus compétents pour décider pour d'autres (ce qui est fondamentalement prendre les gens pour des imbéciles), que des personnes, tels les ministres et présidents actuels, qui n'ont jamais travaillés de leur vie se permettent de décider sur une chose qu'ils ne connaissent pas (à part dans leurs livres de l'ENA), est tout bonnement scandaleux même pour une telle logique. À ces croyants, moutons, idiots utiles des politiques on peut rien faire, c'est cause perdue, ce sont de futurs veautants et soutiens à ces escrocs politiciens de tous bords...

Non, le lieu du travail soumis au capital est le lieu où doit se prendre/faire les décisions, c'est là qu'il faut renverser ce système nauséabond qui nous prend pour des gentils esclaves. C'est là où il faut s'organiser entre travailleurs, faire des comités visibles, ou pas, selon que le rapport de force entre moutons soumis au capital et résistants au capital triomphant, est favorable ou pas. Il faut préparer la révolution qui mettra un coup de pied au cul de ce système capitalo-étatiste.

Ce dont ils ont peur, c'est d'une grève générale sauvage et expropriatrice. Si ce n'est pas pour maintenant, préparons là dès maintenant pour demain, pour nos proches, pour nos enfants... qu'ils ne vivent pas comme nous pour engraisser ce système glouton et mortifère.
Le vrai scandale n'est donc pas le 49.3 mais des vivants qui ne résistent plus à un système mortifère dont on dit dans les milieux médiatiques autorisés qu'il est bon pour tous. Mais la réalité pour ceux qui réussissent à se sortir de cette bulle est toute autre, il y a une société divisé en classes sociales, et la politique travaille pour les classes supérieures (dirigeants, politiciens, financiers, banques), endormir les calsses inférieures, et prépare la destruction de ce monde.

Alors si la démocratie directe, ou l'anarchie, veut dire quelque chose pour le lecteur/la lectrice (autre chose que ce qu'en disent les bourgeois), commencons par poser la démocratie sur les lieux de travail et partout, que personne ne décide pour un autre, décidons ensemble, et en conséquence si les élites, les patrons, les collaborateurs de ce système veulent vous faire taire de grè ou de force, préparons leur l'ascenseur, agissons...


GRATT : Groupement de Résistance Anarchiste anTi-capitaliste anTi-Étatiste 


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REFLEXIONS SUR LA DEMOCRATIE


Dans l'affrontement discursif, le sens d’un mot est fondamental car il contient le
pouvoir des idées. Aussi, un terme peut-il être victime de raccourcis
schématiques, de réductions et de manipulations sémantiques… Surtout quant
on définit ou on explique un ensemble complexe par un seul élément. Prenons
un exemple, celui du mot démocratie. La démocratie, c’est le rapport
majorité/minorité ; pourtant, la majorité fait souvent œuvre anti-démocratique, et
l’Histoire abonde d’exemples dans ce sens. La démocratie revient souvent à
élire des décideurs ; dans ce cas, la délégation de pouvoir s’oppose à la
démocratie comme exercice décisionnel de tous. Certaines querelles sont mues
par des arrières pensées politiciennes, qui cherchent à valider un système
politique contraire aux mythes ou aux principes fondateurs évoqués. Ainsi, la
prétendue démocratie de nos systèmes – et de tant d’autres - est parfaitement
anti-démocratique. De là vient que certains contestataires et certains
révolutionnaires ne voient guère plus loin que le spectacle à l’œuvre et se disent,
par réaction, anti-démocrates. Ils devraient réfléchir et comprendre en quoi cet
« anti » fait le jeu de l’adversaire. La lecture de ce qui suit n'apprendra peut être
rien à certains, et il est certain que d'autres ont produit des textes plus
pertinents ou élaborés sur cette question. Le but ici est simplement de produire
un petit vade-mecum pour un réarmement idéologique face au rouleau
compresseur du système.
Pouvoir: en ce qu’il crée, structure, organise, détermine et exprime la société
des hommes, le pouvoir s’incarne dans la souveraineté. Suivant les uns il
découle soit de Dieu ou de la nature, soit de « force » qu’elles soient
instinctuelles, technologiques ou économiques. L’action des hommes serait
transcendée par les dites causes. Par sa philosophie politique, l’humanisme
moderne et progressiste place le fondement et la légitimité du pouvoir et du droit
par et pour le peuple, tel est l’axiome de la démocratie.
Peuple: signifié comme particulier, il serait celui d’une communauté, d’une
nation et d’un État. Cette vision étroite valorise les particularismes (différences
idiomatiques, idéologiques, d’habitus...) au point de les déclarer constitutives du
fait national ; ce qui débouche sur la séparation en peuples spécifiques. Pour
justifier et nourrir chaque nationalisme et les conflits qui en découlent, on
exacerbe les particularismes au point de les déclarer supérieurs. On dresse ainsi
les uns contre les autres pour les intérêts de quelques uns. Pourtant ne peut être
réfuter que les idées (du bien ou du mal, du juste ou de l’injuste, de la peine ou
de la joie, du bonheur ou du malheur, de la raison ou de l’irrationnel, de la
domination ou de la libération, de la démocratie ou de l'oligarchie) sont anationales
et fortement actives selon le contexte et les idéologies référentielles. Ceux qui prétendent que le peuple est celui d'un État national - comme communauté de « destin », d'intérêt, de culture, de langage etc... - se moquent du monde car il n'y a pas d’État nation qui existent en sens. En effet chaque État ou plusieurs, utilisent le même ou plusieurs idiomes, les mêmes références culturelles ou le multi-ethnique, des systèmes
politiques ou économiques identiques ou différents… Ces nations sont toutes inégalitaire, les classes sociales existent tout comme les divergences idéologiques. Cela empêche donc toute communauté de destin. Ce que l’on
prétend « spécifique » à un sous-ensemble d’individus pour le déclarer
« peuple » ce ne sont jamais que les particularités qui parcourent l'humanité. Ce
qui fait que beaucoup - si ce n'est la totalité de nations (en tant que « peuple
particulier ») - partagent bien des points communs. L'usage d'une langue
particulière ne détermine en rien une façon de penser, de vivre, une culture
déterminée. Observons que malgré les multiples langues en Europe, le mode de
vie est commun, bien que la séparation en nation État soit « justifiée » par la
« spécificité » des peuples. A l'inverse l'usage du même idiome n'empêche ni les
conflits culturels et idéologiques ni la séparation en communauté, ou même en
divers États-nations. De nombreuses individualités ou groupes par-delà leurs
langues ou leurs divisions en États-nations, partagent une identité idéologique.
Bien sûr, il existe des particularités, mais elles ne justifient pas une prétendue
spécificité etla séparation en peuple, nation, État, qui ne sont que des
constructions arbitraires. Elles utilisent la fiction nationale comme mythe
de communauté, permettant d'utiliser une population donnée pour défendre les
intérêts de quelques uns. L’affirmation démocratique moderne se veut
universaliste, au sens où le « je » ne s'oppose pas au « nous », le singulier à
l'universel. Tout comme, biologiquement, il n'y a qu'une seule espèce humaine,
l’ensemble de l’humanité terrienne constitue un seul et même peuple, bien que
ce dernier n’ait pour l’instant d’unicité éthique et idéologique. Le peuple est
l'ensemble de la population comme sujet instituant.
Individu : quoi qu’il en soit, de l’extériorité, des valeurs et des conduites, c’est
par l’individu qu’elles se déclarent. Cette extériorité n’est manifeste que par le
sujet (en l’occurrence l’individu) qui la signifie. Le processus d’objectivation
brise le solipsisme. Le singulier découvre le commun (le monde extérieur), le
semblable (l’alter ego), le « je » et le « nous » (la société). Il est bien un animal
social. A défaut, il n’y aurait ni individu, ni société, ni reproduction et espèce.
Aucun individu ne peut vivre ou survivre et satisfaire ses besoins sans l’action
collective. Aucun droit individuel ne saurait être s’il n’était collectivement
garanti. Posons-nous cette question : si les individus sont le produit d'un ordre
social précis (le sapiens, la cité, le monde moderne), s’ils ne sont pas
socialement construits de leur naissance jusqu’à l’âge adulte par des liens
humains qui assurent une relative pérennisation biologique, psychologique et
sociologique, une société pourrait-elle bien survivre sans ces mêmes individus
qui la composent et pérennisent ? L’individuation et l’universalisation sont
fortement perturbées par le type sociétal. En effet, si deux individus sont
semblables, il n’en reste pas moins qu’ils sont différents selon la place sociale,
le cursus de vie et, a fortiori, l'histoire personnelle, ce qui constitue l’intime et la
singularité, c’est-à-dire la personne dans sa complexité. Cela doit relativiser
l'argument, du « tout social » qui l’érige en un simple rouage passif, mais aussi
l’argument de l’individualisme exacerbé qui revendique un être tout puissant et
isolé. Évitons également le simplisme de faire porter à la société ou à l’individu
tous les vices ou toutes les vertus. De facto, l’individu ou les individus, les
groupes interagissent et co-structurent le sociétal. Tout ceci induit à qualifier
l’individu de "singulier-social-historique". Partant de cette affirmation,
l’équilibre est à rechercher dans cette dialectique de l’individu et de la
communauté et dans cette libre entente volontaire qui lie et concilie droits et
devoirs de chacun dans le respect de la sphère privée et publique. A contrario, la
société actuelle basée sur des rapports d’exploitation et de domination ne
satisfait pas notre aspiration. C’est pour cela que nous contestons sa légitimité
en nous rebellant contre tous ceux qui valident cette situation.
Politique : ce qui appartient à la gestion de la société. Son agencement est le
produit de l’idéologie dominante de l’époque. Pour être réellement démocratique,
un système doit impliquer tous les individus dans des assemblées générales. Par
ce biais, toutes les entités disposent d’une autonomie décisionnelle dont le but
est d’empêcher de décréter à la place, en substitution, contre, et de nuire.
L’équilibre du pouvoir ne peut être sans celui des moyens. Par exemple :
l’imbrication territoriale induit de réguler l’échange et d’harmoniser les rapports
entre-elles pour éviter le corporatisme et l’égoïsme. Tous les groupes doivent
être à égalité de voix et de droits dans les entités qui les associent. Ce système
s’appelle le fédéralisme et il devient l’incarnation de la plus haute expression de
l’autonomie. Aucun système contemporain n’est démocratique. Ce n’est le fruit
que de minorités et de privilégiés spécialisés au sein de la machinerie
institutionnelle qui dépossèdent la majorité de l’action politique afin de
maintenir un ordre hiérarchique et inégalitaire.
Économie : elle est dévolue à produire des choses nécessaires à satisfaire les
besoins. A moins de vivre en autarcie (ce qui me semble impossible), cet ordre
est social. Tous les individus y sont investis et abondent à satisfaire les biens
individuels et collectifs. Chacun doit recevoir l’égale part de travail et de ce
qu’ils produisent. Une production collective et une répartition égalitaire des biens sont compatibles avec la cause générale. Le système économique actuel ne vise pas à servir le bien commun. Il n’est qu’au profit de nantis. C’est même un contresens économique, au vu de l’utilité de l’ensemble. D’un côté, on travaille et on sur-travaille en s’activant à fabriquer des biens futiles et, de l’autre, on chôme tout en ayant une carence de biens vitaux. De plus, il y a mise en place d’un contrôle social et d’une
répression accrue envers les individus pour les spolier, quand ce n’est pas
simplement une destruction de biens publics par la guerre,le tout afin d’accroître l’enrichissement de lobbys précis. Le capitalisme est antidémocratique.
Liberté : elle est productrice des choix et des actes. Pour autant la liberté n'est
pas totale elle est toujours confrontée à l'autre, à la volonté générale, aux
principes de la communauté.
Égalité : ses détracteurs veulent établir que son inverse (l’inégalité) est dans
l’ordre naturel des choses et qu’elle est en toute logique une règle du bon
fonctionnement de la société actuelle. Réfléchissons et observons que tel
individu musculairement puissant possède des articulations fragiles ou qu’un
autre morphologiquement chétif dispose d’une défense immunitaire
avantageuse ; qu’il peut être très véloce mais malentendant, qu’il est robuste sur
le plan cardio-vasculaire mais souffreteux des poumons, voir très imaginatif en
étant peu aise dans la réalisation des tâches les plus banale, tel loquace avec si
peu de raison pratique, tel mathématicien nul en littérature, tel logicien peu
sensible à l’autre, etc. Si, pour comparer, on ne prend pas la partie pour le tout,
très vite, il s’avère hasardeux ou même impossible d’établir l’inégalité comme
fondement. S’il y a bien des différences qui existent, une approche systémique
de l’individu constate des similitudes et des compétences communément
partagées. L’égalité est plutôt la norme. Le constat d’égalité est majoritairement
admis chez les biologistes, les psychologues et autres doctes. Mieux encore il est
reconnu que les grandes compétences biologiques (bipédie, reproduction,
système nerveux central…) et psychologiques (symbolisation, langage, affect…)
sont innées, tant sur le plan singulier qu’universel, ce que d’ailleurs confirment
la phylogenèse et l’ontogenèse. Mais alors, d’où provient l’inégalité dans le
champ social ? Tout simplement, si l’inné existe, il n’est pas en dehors de son
environnement. Les structures ne sont pas fermées, elles peuvent être modifiées,
« inhibés » et détruites ou stimulées et optimalisées. De la sorte, il y a un rapport
inné/acquis dont la co-influence est difficile à mesurer ou déterminer. Ce qui
prête à beaucoup d’interprétations. Actuellement, il est connu que des éléments
physiques, chimiques, biologiques et psychologiques sont traumatiques ou
pathogènes et mortels chez l’individu. Par exemple : l’individu ne peut marcher
correctement si on entrave le passage à la bipédie et il en va de même pour
l’usage de ses muscles si on les bloque ; l’exposition à des radiations,à certains
produits chimiques a de grandes chances d’entraîner une altération de son
génome ; le défaut de stimuli, de mise en lien et d’apprentissage favorise une
perturbation du développement neurologique, voir également l’absence du
langage ; l’absence de perceptions sensorielles provoque des pathologies… Si
on ajoute l’usage de certaines drogues, les chocs émotionnels, les angoisses, le
stress et des signifiants idéologiques, tout cela concourt à affaiblir ou perturber
les grandes compétences biologiques et psychologiques innées et universelles.
Le social ne déroge pas à la règle et interfère sur cet inné selon sa culture. Les
effets de cette donne sont sans appel. Mentionnons ces quelques exemples :
conservation (hygiène, sport, chirurgie plastique), alimentation (qualité,
diversité et équilibre), soins (couverture et type de médecine), usages
(reproduction, force de travail) et intérêts (hédonisme, épicurisme, ascétisme),
signifiants (positif ou négatif…), jugements (principe de réalité, intuition,
logique), savoirs (choix et intériorisation des connaissances), sociabilité (famille
nucléaire et cercle d’amis…), etc. Tout cela diffère en fonction du capital social
(bagage culturel et aisance financière, entre autres) qui insère l’individu et structurent
les groupe. Or bien que cela n'ait pas été de tout temps et pourrait bien changer
d’après certains, cette société est divisée en classes sociales et catégories
sociaux-professionnelles. L’individu (ou la personne) dans sa totalité individuée
et universelle est dotée de façon innée des compétences de son espèce qui sont
directement et diversement affectées par l’environnement social. Le film « La
vie est un long fleuve tranquille » illustre de façon amusante qu’après un
échange dès leur naissance un enfant de la bourgeoisie catholique et un enfant
du prolétariat d’une banlieue ne s'empreignent pas de l’habitus de leur famille
biologique, mais bien de celui de leur nouvelle famille respective. En la matière,
la culture a une relative indépendance vis-à-vis de sa mère nature tout comme
l’idéologie ne découle pas du gène mais des contenus de conscience. C’est donc
bien dans l’ordre du discours que se trouve le fondement de l'inégalité.
A ceux qui proclament que l’inégalité est innée (non sociale), nous formulons
d’autres questions : d’où vient que, selon les systèmes sociaux, l’inégalité se
réduit ou croît ? Quelles sont les explications, lorsque des individus ou groupes
prétendus « inférieurs » accèdent à des niveaux dits « supérieurs »
(connaissances intellectuelles et/ou professionnelles), transgressant par là
l’innéo-déterminisme.
Si les grandes compétences étaient dues au hasard ou à la recombinaison
procréative, elles seraient particulières dans leur manifestation.Si les grandes compétences n’étaient dues qu’au hasard génétique ou à la recombinaison procréative, elles seraient particulières dans leur manifestation »
Pourquoi cette singularité ne se traduirait-elle pas au niveau social ? Pourquoi
observe-t-on une grande stabilité des couches sociales ? Si la théorie de la
sélection naturelle ou sociale était vraie, on devrait aboutir à un élitisme des
grandes compétences. Or rien n’établit qu’il y ait un biotype ou un psychotype
différent entre les individus des diverses strates sociales. Le « générique »
s’impose et rien de plus banal que le grand bourgeois et le plus exclu des
prolétaires. Le supérieur et le dominant ne sont en rien un élitisme objectif mais
un a priori moral et les traits de caractère secondaires sont dus à l’histoire
personnelle même s’ils sont efficients pour la domination (ambition,
mégalomanie, violence, immoralité, égotisme, arrivisme, etc.). Pour conserver et
obtenir des privilèges, certains par la rhétorique, le mensonge, la manipulation et
la violence ont imposées des rapports de domination ; ils ont établi et perpétué
des sociétés verticalisées, élevé l’inégalité en dogme. Parallèlement, la
compréhension des impacts macro et micro économiques ont permis des
politiques sociales moins iniques. De facto, la croissance de la production et de
la consommation ont longtemps obligé à plus de pouvoir d’achat global d’où
une économie plus redistributive et une amélioration du standard de vie. Faisant
le constat que l’historicité est marquée par la conflictualité sociale et afin
d’éviter une révolution sociale, la machinerie institutionnelleafavorisé
l’intégration en confortant le mythe du progrès social, de l’état providence, du
neutralisme et de la bienveillance de la bourgeoisie. Mais,depuis plusieurs
décennies, la réduction des inégalités économiques et sociales a fait place à une
accentuation des dites inégalités. Dès à présent, dissipons une illusion : la
gauche prétend réduire les abus par une politique équilibrée social-démocrate ; ,
la droite, quant à elle, par le libéralisme, pratique l’inverse. Pour autant, ni l’une,
ni l’autre n’entendent établir l’égalité. Elles divergent sur le gradient de
domination (oppression et exploitation) judicieux pour leur intérêt. Elles
refusent la critique de ce système politique (parlementaire), économique
(capitalisme), idéologique (anti-égalitaire). D’où leur défense des institutions,
notamment l'État et ses appareils idéologiques. Cette machinerie institutionnelle
reproduit et pérennise un modèle de société hiérarchisée qui conforte les
privilèges. C’est pourquoi la démocratie n'est pas :
le parlementarisme qui permet que le législateur n'incarne pas la volonté et
l'intérêt collectif mais celui d'aigrefins, de cénacles, de camarillas et de
profiteurs. Par sa logique, le parlementarisme dépossède ou n'incline pas à
l'administration de la citée.
le paritarisme qui confie l'action politique à des groupements (syndicats et
associations) ne représentant qu'une frange infime de la population. Par leurs
fonctions et compositions, les organismes paritaires n'enfantent que des
compromis et statuquos. Le but de ces structures est d'arracher quelques
avantages pour leur clientèle.
le gouvernement qui est issu d'une fraction prétendue majoritaire et par ses
ministres agit dans l'intérêt de son parti. D'où ses prises de décisions qui
déplaisent en général en grande partie à la population. En effet, le gouvernement
ne se risque que très rarement à la consulter, sauf s'il croit en sa victoire. Le cas
échéant, il passe outre (cf. la modification du cadre constitutionnel).
la consultation électorale hissant aux affaires les élus. Si on décompte les
privés de droits civiques, les résidents étrangers et les abstentionnistes, ce n’est
environ que la moitié de la population qui élit. La majorité étant de 50% plus
une voie des suffrages exprimés (majorité absolue), voire moins (majorité
relative). Le résultat est que la majorité élue ne représente guère plus de 25% à
30% de la population, peut être moins si l'abstention est forte.
la pluralité d'opinions, en quoi l'oligarchisme, le théocratisme, le monarchisme,
le bourgeoisisme, le fascisme, le stalinisme, comme le féodalisme et le
capitalisme sont-ils démocratiques ? Cela arrange bien les politiciens qui
prétendent œuvrer aux compromis et synthèses qu'impliquent ces opinions
multiples. Par touches successive, ils dépouillent la démocratie de ce qui la
constitue et imposent une idéologie anti-démocratique au non du démocratisme.
Pour finir, affirmons que la démocratie c'est :
le pouvoir du peuple qui exprime la décision de tous, la volonté et l'intérêt
collectif ;
le peuple qui est l'ensemble de la population non catégorisée selon les aspects
secondaires et particuliers mais dans l'universalité du genre humain ;
l'individu qui acte pour que les intérêts individuels et collectifs se garantissent
mutuellement ;
la politique qui implique la participation de tous à l'administration de la société
d'après le principe du fédéralisme ;
l’économie dont la finalité est de satisfaire aux besoins de la population. Chacun
œuvre et reçoit l’égale part de la production économique. Cela suppose que les
moyens économiques ne sont ni privés, ni étatiques, mais une propriété sociale ;
la liberté qui est la plus ample possible dans la mesure où elle s’arrête ou
commence celle d’autrui, ainsi bornée elle ne s’altère pas mais se vitalise ;
l’égalité qui en matière sociale est formellement celle des droits.

Jean Picard Caen le 15/09/2012.